samedi 15 décembre 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #4




Notre voyage durait depuis trois jours, et si nous ne nous étions pas d’abord trompé de route, erreur dont seule la mauvaise foi de Gilbérald, mon fidèle écuyer, l’empêchait de reconnaître la responsabilité, nous aurions pu être déjà bien loin de la capitale. Toutefois, nous avions forcé l’allure dans la journée, et nous pouvions voir à présent les cimes de la forêt des Horreurs, dont la réputation était loin d’être excellente, en partie à cause de la présence en son sein du cyclope Inette, un monstre terrifiant et sanguinaire.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, chevauchait à mes côtés, l’air préoccupé.
-Je me demande si nous arriverons à temps pour éviter que le général Toultant et ses hommes ne se fassent mettre en pièces, dit-il. Czxywitzcultac est à tant de lieues d’ici !
-Il est vrai qu’à cause de toi, nous avons perdu beaucoup de temps. Mais je ne saurais douter de mon succès. Dieu a pointé son doigt sur moi, et son petit doigt me dit que le fourvoiement n'est pas mon destin !
-Pourvu que nous ne nous en mordions pas les nôtres...
-Homme de peu de foi, soupirai-je.
Le soir approchait et faisait peu à peu rougir les nuages, et nos ombres s’allongeaient pour bientôt disparaître dans la pénombre. Une auberge, d’abord cachée par quelques arbres, apparut sur le bord du chemin, et ses fenêtres chaleureusement éclairées semblaient nous inviter à venir y passer la nuit.
-Holà, aubergiste ! criai-je. Une chambre pour la nuit ! Et mène nos chevaux à l’écurie !
-Bien, monseigneur.
Nous étions bientôt attablés devant un bon dîner, quand le tavernier vint nous voir.
-Monseigneur, dit-il timidement, si j’osais…
-Osez, mon brave, osez !
-Eh bien en fait, il s’agit d’une bande de brigands qui sévit dans la région depuis quelques jours. Leur chef est Rick Iki, un homme dur et violent qui a instauré un véritable climat de terreur depuis que les soldats du roi ont dû partir pour garder la frontière Et il a décidé de se venger de moi car je lui ai refusé la main de ma fille.
-Vous avez une fille ? dis-je, brusquement intéressé.
-Non, justement ! C’est bien là le drame ! Sinon, vous pensez bien que jamais je n’aurais pris le risque de lui déplaire.
-Et qu’attendez-vous donc de moi, brave homme ?
L’aubergiste se tortilla et enfouit ses mains dans son tablier.
-Si vous pouviez les mettre hors d’état de nuire, cela me rendrait un fier service, ainsi qu’à toute la région. Et je pourrai à nouveau dormir sur mes deux oreilles.
Je ne savais quoi lui répondre.
-Je ne peux rien vous garantir, vous savez. Je n’ai guère le temps de m’occuper de ça. La meilleure solution pour vous serait de vous procurer une fille le plus vite possible.
Je voyais bien à sa mine désappointée qu’il était loin d’être satisfait de ma réponse. Il n’aborda toutefois plus le sujet de la soirée, et nous ne tardâmes pas à aller nous coucher. La nuit se passa sans incidents, et ce fut frais et dispos que nous reprîmes notre route.

 * * * * * * * * *

Nous avions déjà dépassé l’heure de manger quand Gilbérald, mon fidèle écuyer, me fit remarquer que nous nous dirigions droit vers la forêt des Horreurs.
-Je le sais bien, dis-je. Cela te pose un problème ?
-C’est bien là que vit le cyclope Inette, non ? Ca ne vous effraie pas ?
Je pris un air indigné.
-Enfin quand même, continua-t-il, il a déjà vaincu un grand nombre de héros au palmarès pourtant riche en exploits. Siegfried le Héros et Sire Maginot eux-même n'ont rien pu faire contre lui !
Je lui adressai un regard miséricordieux.
-Ne me compare pas à ces guerriers de bas étage, dis-je, tout juste bons à pêcher à la ligne. La meilleure chose qui puisse arriver à ce cyclope, c’est de ne pas croiser notre chemin.
-On pourrait faire le tour, non ?
-Cela ne ferait que nous retarder ! Et puis ça suffit comme ça, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! De quoi aurais-je l’air si à la moindre difficulté je dévie de ma route ?
Il ne répondit rien, mais au bout de quelques minutes, il ne put s’empêcher de me mettre à nouveau en garde.
-Laissez-moi ouvrir la marche, mon maître ! Je repense à ces brigands dont nous a parlé l’aubergiste. Ca ne m’étonnerait pas qu’ils aient installé leur campement aux abords de la forêt, là où rares sont ceux qui osent s’aventurer. Et ce lieu me semble propice aux embuscades.
-Tu crains donc une embuscade, dis-je sans pouvoir m’empêcher de sourire. Tu me feras toujours rire, Gilbérald, mon fidèle écuyer !
J’avais à peine achevé ma phrase qu’une flèche vint se ficher dans son épaule. Il pâlit mais ne tomba pas de son cheval.
-Hardi, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! m’écriai-je en dégainant mon épée. Ce n’est pas le moment de céder à la souffrance ! Sors ton couteau, et défendons chèrement ma vie !
Gilbérald, mon fidèle écuyer, payait cher son manque de vigilance, mais l’heure n’était certes pas aux reproches. Dix rudes gaillards se ruaient sur nous comme des beaux diables, hurlant et agitant leurs haches, leurs masses d’armes et leurs glaives au-dessus de leur tête.
Cela me semblait bien dangereux. D’ailleurs, l’un d’eux ne tarda pas à trébucher et à s’empaler sur son épée. Un autre coupa la tête à deux de ses compagnons, ce qui était prévisible, tant son manque d’attention était manifeste. Au même instant, celui qui le suivait s’étrangla sans surprise avec la fronde qu’il faisait tournoyer très maladroitement. Un autre encore tomba bêtement dans un piège à tigre, où il fut transpercé de part en part par des pieux acérés. Son voisin, quant à lui, traversa sans regarder et se fit bien évidemment écraser par un bus, tandis qu’un autre était pris en otage par des terroristes aux idéaux fallacieux. Le plus grand de ces brigands, averti par son majordome que ses actions venaient de chuter de manière catastrophique et que sa femme le quittait, se suicida sans plus attendre. Enfin, celui qui semblait être le chef fut enlevé par un ptérodactyle. Ainsi fut défaite la terrible bande de Rick Iki.
Il y avait toutefois un survivant que je ne remarquai pas tout de suite. En effet, le dernier de ces joyeux drilles courait toujours comme un fou dans notre direction, et je m’étonnai un instant qu’il soit encore en vie. Il arriva sur nous en hurlant, mais son élan fut tel qu’il percuta mon cheval de plein fouet et s’étala de tout son long face contre terre. Je notai alors qu’il n’avait pas d’arme, ce qui expliquait sans doute qu’il ait pu courir aussi longtemps sans se tuer lui-même.
Il se releva avec peine, se tenant la figure à deux mains en gémissant.
-Tout va bien, mon brave ? lui demandai-je.
-Oui, oui, monseigneur, dit-il. C’est bien aimable à vous de vous en préoccuper.
Il nous regarda un instant en se massant le visage sans rien dire, considérant tour à tour ma bourse bien remplie et ma lourde épée qui pendait à mon côté. Finalement, il sembla prendre une décision.
-Vous avez cru que nous vous attaquions, peut-être ? dit-il.
-Ma foi, je dois bien avouer que l’idée m’a traversé l’esprit.
L’homme éclata de rire.
-Ah ah ah ! Qu’allez-vous chercher là !
Il intercepta mon regard sceptique.
-Bon, admit-il, on vous attaquait peut-être un peu. Mais moi, j’étais contre !
Le sympathique bandit n’était pas bien grand, pas très costaud non plus, et il n’avait pour se protéger du soleil qu’une petite touffe de cheveux roux au sommet de son crâne. Ses yeux, se réduisant à deux petites fentes, semblaient continuellement sur le qui-vive.
-Apprends-nous donc ton nom, mon ami, dis-je.
-Thébault, monseigneur.
-Merci, fis-je. Je sais. Quant à ton nom, si tu préfères le garder secret, tu dois avoir tes raisons. Je suis désolé de m’être montré aussi indiscret. Un passé douteux, peut-être ?
Je le regardai d’un air entendu et lui fis un clin d’œil.
-Douteux, douteux, c’est vite dit, monseigneur, s’offusqua notre ami. Je suis très influençable, voyez-vous, et Rick Iki, cet infâme brigand, a bien su profiter de ma faiblesse de caractère. J’ai donc été entraîné malgré moi dans une vie de débauches et de dépravations sans fin, une spirale infernale à la pente savonneuse. Rendez-vous compte qu'il m’a obligé à commettre vols et assassinats, alors que je suis allergique à toute violence ! Ah, le calvaire que j'ai enduré, monseigneur ! Moi qui n’aspirais qu’à élever des abeilles et soigner quelques fleurs dans la paisible retraite d’un humble petit jardinet.
Je posai alors ma main sur son épaule.
-Allons mon ami, tu n’as pas à te justifier ainsi devant moi. Je me moque bien de ton passé, et ce n’est certes pas à moi de te juger. Mais tu me plais bien, aussi vais-je te faire une proposition. Que dirais-tu de m’accompagner dans ma quête ? J’ai besoin d’hommes francs et courageux comme toi !
Il me toisa de ses petits yeux, dans lesquels je pus lire une certaine suspicion.
-Francs et courageux comme moi ? Dites, ça ne serait pas un peu dangereux, votre quête, là ?
-Assurément ! Très dangereux ! Il y a même fort à parier que tu n’en reviennes pas vivant.
Il recula d’un pas.
-Bon voyage, monseigneur !
-Le roi sait se montrer généreux envers ceux qui ont bien mérité de lui. Si tu m’aides à sauver le royaume, c’est la gloire et la fortune qui t’attendent !
-Qu’attendons-nous pour partir ?
-Mais nous partons sur le champ ! Nous n’avons perdu que trop de temps !
Je m’élançai déjà sur la route, quand mon nouveau compagnon me héla d’une voix étonnée.
-Et votre écuyer, monseigneur ! On le laisse ici ?
Je me retournai et considérai Gilbérald, mon fidèle écuyer, d’un œil circonspect. Il semblait effectivement peu enclin à poursuivre le voyage. Il restait bêtement planté sur son cheval, qui broutait paisiblement quelques racines sur le bord du chemin, et il regardait fixement devant lui, l’œil éteint, la langue pendante, le poil terne. Maintenant que j’y pensais, il me revenait en effet qu’il ne m’avait pas été d’un très grand secours lors de mon âpre bataille contre les brigands.
-Qu’as-tu donc encore été inventer pour nous retarder ? lui criai-je.
Il resta sans réactions.
-Je crois, dit mon ami, que c’est à cause de cette flèche qui lui dépasse de l’épaule.
J’examinai attentivement l’épaule de Gilbérald, mon fidèle écuyer. Une flèche était effectivement fichée dans sa chair, et le sang coulait légèrement le long de son bras.
-Une petite flèche comme ça ? Tu crois ?
-Eh bien, en fait, dit le petit brigand en riant d’un air gêné, je crois qu’on l’avait un peu empoisonnée. Mais ce n’était pas mon idée ! Je crois même me souvenir que j’étais contre.
Heureusement, le poison n’était pas fulgurant. On pouvait encore le sauver si on ne tardait pas trop à trouver l’antidote. Mon sympathique ami me laissa même entendre qu’une vieille sorcière vivant dans la forêt des Maléfices avait sans doute le pouvoir nécessaire pour le soigner. La forêt des Maléfices, pour ceux à qui la géographie de la région est inconnue, était limitrophe de la forêt des Horreurs. On pouvait considérer qu’il s’agissait là de la même et unique forêt, mais on faisait quand même la différence, ne serait-ce que parce qu’elles n’avaient pas le même nom.
-Je ne sais pas ce qui me retient de te laisser là, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! J’avais bien besoin de ça, tiens ! Enfin, nous allons tout de même essayer de te sauver. Ne t’inquiète pas, Roger m'a confié que le poison ne te tuera pas avant la fin de la journée, normalement. D’ici là, tu auras le temps de devenir tout bleu, puis tout vert, puis mauve avec des points jaunes, ce qui au passage sera du plus mauvais goût. Ensuite, tu perdras tes cheveux, puis tes dents, et tu deviendras aveugle et muet. Et alors tu délireras et tu auras de terribles accès de fièvre, ta peau se craquellera, tu vomiras du sang et tu étoufferas lentement pour finalement agoniser dans d’atroces souffrances.
Après l’avoir ainsi rassuré, je me tournai vers le petit homme.
-Il est assez rigolo, votre poison, dis-je.
-On s’y est mis à plusieurs pour le trouver.
-Dis-moi, cela te dérange-t-il si je te trouve un nom ? Moi-même, je n’en ai pas, mais si nous devons être deux dans ce cas, nous allons avoir du mal à nous y retrouver. Tu t’appelleras donc désormais Roger !
Il répéta son nouveau nom trois ou quatre fois pour en apprécier la sonorité, puis avec un haussement d’épaule résigné, il me dit :
-Après tout, pourquoi pas ? Roger, ce n’est pas si mal pour un nouveau départ.
Il était plus que temps de se remettre en marche, car Gilbérald, mon fidèle écuyer, tournait déjà au bleu ciel. Et c’est ainsi que nous partîmes gaiement vers la forêt des Horreurs, sans une seule idée des formidables aventures qui nous y attendaient.




mardi 1 mai 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #3


Ce fut avec un immense soulagement que nous arrivâmes après bien du mal dans les appartements privés du roi. Ce dernier s’assit derrière son bureau et me présenta un siège en face de lui.
-Un cigare ?
-Non merci, fis-je. Je ne fume pas.
-Et vous avez raison ! Car pour accomplir votre mission, vous aurez besoin de toutes vos forces.
Aux côtés de Merlan et de Bovin, qui se tenaient respectueusement derrière le roi, je remarquai un petit homme étrange déguisé en palmier d’intérieur qui remit une enveloppe au roi.
-Je vous présente Pavupapris, notre maître espion. Mais vous le connaissez, je crois.
-Qui ne le connaît pas, dis-je. Quoique, avec son déguisement, je ne l’avais pas reconnu.
-Vous pouvez disposer, Pavupapris, dit le roi.
Le palmier s’éclipsa.
-Vous trouverez dans cette enveloppe tous les renseignements nécessaires sur Holi Wood, dont un portrait récent ainsi que divers documents qui pourront vous être utiles. Pour les obtenir, plusieurs de nos meilleurs agents sont morts.
Je décachetai l’enveloppe. Elle ne contenait qu’une feuille blanche où seul était écrit le nom de Holi Wood, sous un portrait grossier qui se résumait à un rond avec deux petits points mesquins pour les yeux et une bouche qui tirait la langue, ainsi qu’un bon de réduction de deux écus à valoir sur mon prochain rendez-vous chez le coiffeur.
-Comme ça, vous pourrez partir combattre le Mal avec une coupe de cheveux adaptée. Quant aux documents concernant Holi Wood, je reconnais qu’ils sont un peu maigres. Mais c’est tout ce que nous avons !
Je rangeai le dossier dans son enveloppe.
-N’oublie pas que notre destin est entre tes mains, me dit Bovin avec une légère angoisse qui faisait trembler sa voix.
-Vous pouvez compter sur moi ! assurai-je en me levant.
Le roi sortit alors son porte-monnaie et me tendit dix sous.
-Tiens, me dit-il. Pour t’acheter des bonbons.
-Votre majesté est trop bonne.
-Bon, je résume : votre mission, si vous l’acceptez, est de vous infiltrer dans les lignes ennemies, de trouver Holi Wood, le terrible Prince des ténèbres, et de lui flanquer une bonne correction. D’après nos renseignements, il se trouverait à Czxywitzcultac, une ville au nord-est du royaume, avec son lieutenant Taum Krouz et le plus gros de son armée. Le général Toultant essaiera de le retenir le plus longtemps possible, mais le temps nous est désormais compté. Si au cours de votre mission, vous ou l’un de vos hommes venait à être pris ou tué, nous nierons avoir eu connaissance de vos agissements. Ce message s’autodétruira dans trente secondes. Bonne chance, Jim ! Bip bip bip…BOUM !
-Bien, Sire !
Je me retirai le cœur gonflé d’orgueil et d’espoir. J’allais finalement pouvoir révéler au monde mes immenses talents, et on me reconnaîtrait enfin à ma juste valeur. La tâche allait être rude, je le sentais, mais loin de me décourager, cette idée me galvanisait. Et c’est ainsi que commença ma formidable aventure.

* * * * * * * * *

-Ah, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! m’écriai-je. Je te cherchais.
-Me voici, mon maître.
Il se tenait devant moi, le sourire servile, attendant mes ordres comme un bon chien attendrait son os. C’était lui qui, il y avait déjà plusieurs années de cela, s’était proposé de lui-même d’entrer à mon service. Bien qu’un peu maladroit, et manquant parfois cruellement de cette présence d’esprit et de ce sang froid qui me valurent de nous sortir de nombreuses situations inextricables, il m’avait toujours témoigné un attachement et un dévouement à toute épreuve. De sa jeunesse, il ne parlait guère, mais j’avais cru comprendre qu’il avait beaucoup voyagé. Sa connaissance du pays allait certes m’être appréciable.
-Va donc seller mon cheval. ! lui dis-je.
-Pourquoi, mon maître ?
Je le regardai avec impatience.
-Parce que c’est plus confortable pour voyager, répondis-je. Je vois que tu ne t’es toujours pas départi de ta mauvaise habitude de poser des questions idiotes !
Il baissa la tête, l’air penaud.
-Je voulais juste savoir où nous allions, c’est tout.
Je levai les yeux au ciel.
-Mais où étais-tu donc, ce matin ? m’écriai-je. Tout le royaume est au courant ! Tu ne sais donc pas que Dieu lui-même m’a chargé d’aller sauver le monde ?
-Noble tâche.
-Oui, et qui d’autre que moi aurait pu être désigné pour une mission aussi délicate !
-On se le demande.
Je le regardai d’un œil mauvais.
-Nous devons nous rendre au plus vite à Czxywitzcultac, poursuivis-je.
-Czxywitzcultac ?
-Oui, Gilbérald, mon fidèle écuyer. La ville la plus importante du nord-est. Là se jouera le sort du royaume. Mais trêve de bavardages inutiles ! Nous n’avons perdu que trop de temps ! En route !
Nos bagages furent vite bouclés, et dans l’heure qui suivit nous quittions le château, non sans avoir préalablement pris congé du duc et de ma chère Rose. Près de la grande porte de la ville, Merlan nous attendait. Il vint vers nous avec un air de visible contentement malgré la gravité solennelle de sa démarche.
-Ah, Gilbérald ! dit-il, à mon grand étonnement. Maintenant, nous ne pouvons plus faire demi-tour.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, acquiesça. Merlan se tourna alors vers moi et me dit à la manière d’un maître d’école s’adressant à son élève :
-Chevalier, la route que tu t’apprêtes à suivre sera longue et semée d’embûches. Aussi, écoute bien ce que j’ai à te dire. Mes conseils et mes prédictions ont rarement été inutiles à qui sait s’en rappeler.
-Je t’écoute, ô sage Merlan.
-Tu rencontreras sur ta route de nombreux alliés, même si tous ne t’apparaîtrons pas comme tels de prime abord. L’union fait la force, chevalier, et tu aurais tort de ne compter que sur toi-même si tu veux aller au bout de ton périple.
Il fouilla un moment dans ses vastes poches et en sortit une petite amulette qu’il me remit.
-Porte la en toute occasion, ne t’en sépare jamais. C’est une amulette que je tiens d’une ancienne princesse aujourd’hui disparue. A ce titre, elle a de grands pouvoirs. En cas de grand danger, elle saura t’aider.
Je passai l’amulette autour du cou. Aussitôt, un étrange sentiment de bien-être m’envahit.
-Bien, continua Merlan. A présent, quelques petites recommandation avisées qui je pense te seront profitables : parfois, tu seras tenté de poser des questions trop indiscrètes. Cela ne peut t’apporter que des ennuis, car la curiosité est un vilain défaut. Couvre-toi bien, car les nuits sont fraîches, et il serait dommage que tu attrapes froid. Lave-toi bien les dents après chaque repas.
Je ne pus dissimuler une certaine impatience.
-Oui, c’est ça, dis-je en piquant ma monture des talons. A bientôt, sage Merlan !
-Bonne chance, chevalier ! Et n’oublie pas, les chats noirs sont source de malheur, et le vendredi treize est un jour funeste. Si tu rencontres un jour une jeune fille bossue à la peau bleue qui te dit qu’elle est philatéliste, jette trois pierres dans un étang puis frotte-toi le nombril avec la queue d’un scorpion en récitant trois fois de suite le Notre Père à l’envers, ou alors arrête la boisson.
Mais nous étions déjà loin et les remparts de la ville disparaissaient derrière nous, faisant désormais partie du passé. Nous ne nous retournâmes pas une seule fois. Nous croisions parfois de grands groupes de gens qui, sûrs de mon échec, s’exilaient en masse en se lamentant sur leur sort. Hommes de peu de foi, à qui je saurai bien prouver combien ils avaient tort. De ce moment, je me jurai de ne pas revenir sans la tête de Holi Wood plantée au bout de mon épée.

samedi 28 avril 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #2


Le soleil était déjà haut dans le ciel quand le roi convoqua tous ses chevaliers. Nous fûmes réunis dans la Grande Salle, pièce gigantesque aux vastes voûtes, aux imposants piliers, aux fenêtres immenses qui laissaient abondamment les rayons du soleil descendre en cascades de lumière sur les lourdes dalles faites d’authentiques écailles de dragon. Le roi, majestueusement assis sur son trône à roulette (suite à un accident de chasse malencontreux, le roi s’était vu privé de l’usage de ses jambes), était entouré des ses plus vaillants chevaliers. N’ayant pas encore eu l’occasion de prouver ma bravoure, je ne pouvais prétendre faire partie de ce cercle fermé, dont je ne peux m’empêcher de citer les plus renommés. Il y avait donc là Bovin, le plus âgé des chevaliers, presque aussi vieux que le roi, pour qui il avait accompli nombre d’exploits, gagné d’innombrables batailles, et aussi achevé une quête ou deux. A côté de lui se tenait Javelot, le plus impétueux des chevaliers, puis venaient Pairdechval, le plus jeune des chevaliers, Marmelade, le plus pur, Sacrebleu, le plus mystérieux, et Savon, le plus propre des chevaliers. A la droite du roi se trouvait, digne et la tête haute, courbé sous le poids vénérable des années, Merlan, le vieil enchanteur, qui avait toujours conseillé le roi, et dont l’existence semblait remonter à la nuit des temps.
Le roi toussa un peu pour réclamer le silence.
-Mes braves chevaliers, dit-il, je n’irai pas par quatre chemins : l’heure est grave.
Un murmure monta de la salle, vite étouffé par le regard sévère de Merlan.
-Holi Wood, cet odieux tyran avec qui nous avions pourtant signé un pacte de non agression, vient de lancer ses terribles armées à l’assaut du royaume. Nous venons d’apprendre que la forteresse de l’Ouest est tombée, et la situation au Nord n’est guère enviable.
L’assemblée s’agita. Le roi toussa à nouveau pour faire revenir le calme, mais il fut pris d’une violente quinte. Bovin lui donna alors de légères tapes dans le dos, ce qui eut pour effet de calmer la quinte et de faire tomber le roi de son trône. Les chevaliers les plus proches, le sourire aux lèvres mais le cachant bien, se précipitèrent pour l’aider à se relever.
-Je sais que plusieurs d’entre vous, mon bon Merlan n’étant pas des moindres, m’avaient mis en garde contre cet ignoble parjure, notamment lorsque, il y a trente ans de cela, il annexa purement et simplement notre voisin, le royaume des Cerisiers. Je ne reviendrai pas là-dessus. Tout ce que je puis dire, c’est qu’à l’époque, nous n’étions pas préparés à la guerre. A présent, nous le sommes davantage, mais Holi Wood a considérablement accru ses forces. Il a passé de nouvelles alliances avec les peuples de l’Est et avec les Gobelets et les Drôles, dont on dit qu’il est devenu le seigneur. Il aurait même, m’a assuré Merlan, signé un pacte avec le Diable en personne.
-Ben mince alors ! s’exclama Javelot.
-Je ne vous dis pas tout ça pour vous effrayer…
-Nous ne connaissons pas la frayeur ! assura Bovin, ce que l’on n’aurait pas cru en voyant le visage de certains chevaliers pâlir à l’énoncé du roi.
-Je n’en attendais pas moins de vous, mes braves, mais je tenais à ce que la situation vous soit clairement exposée.
Bovin prit à nouveau la parole.
-Sire, mettez-moi à la tête de votre armée, et nous verrons bien s’il est aussi fort que cela.
Merlan prit un air désolé, ce qu’il faisait très bien.
-Cela ne servirait tout au plus qu’à retarder l’inévitable. Notre armée, pourtant puissante et bien équipée, se ferait inexorablement mettre en pièces par les hordes sauvages qui se massent à l’entrée de notre pays.
Nous prîmes tous les mines consternées de circonstance, jusqu’à ce que Javelot s’écrie :
-Nous ne pouvons accepter de rester là les bras croisés ! Nous nous battrons, jusqu’au dernier s’il le faut, mais jamais nous ne nous rendrons !
Chacun des chevaliers présents éleva la voix pour se faire entendre, mais je ne suis pas sûr que tous avaient la même chose à dire. Merlan les fit taire d’un geste comme seuls savent le faire les enchanteurs.
-Certes, rien ne semble pouvoir arrêter Holi Wood, dit-il. Ce qui ne veut pas dire que rien ne l’arrêtera.
-Vous connaissez donc un moyen ? demanda Sacrebleu.
Tous attendirent la réponse du vieil homme. Elle vint.
-Oui !
Il fit une nouvelle pause, sûr de son effet.
-J’ai consulté les oracles ce matin, et ils sont formels : un seul d’entre vous suffira pour faire basculer le destin du monde. Un seul aura la force nécessaire à l’accomplissement de cette nouvelle quête contre le Mal. Un seul saura se montrer digne de porter les couleurs de Dieu dans son combat contre le Diable. Un seul d’entre vous sera le sauveur de l’humanité. Et cet homme, c’est…
Tous les chevaliers levèrent la main comme un seul homme, trépignant et essayant de crier plus fort que les autres.
-Moi ! Moi !
Merlan, encore une fois, obtint le silence.
-Moi-même, je ne le sais pas encore.
Il accompagna pourtant ses paroles d’un sourire énigmatique.
-Comment le savoir, alors ? demanda un petit chevalier près de moi.
-La Colline de la Vérité, dit Merlan avec toute la solennité que l’évocation d’un tel lieu demandait. Nous y aurons la révélation. Les oracles sont formels.
Puisque les oracles étaient formels, personne n’eut rien à redire. Et c’est dans un brouhaha indescriptible que nous nous rendîmes tous à la Colline de la Vérité. Cette colline légendaire, lieu de plusieurs miracles plus ou moins avérés, mais véritable objet de culte pour la plupart des habitants du royaume, se trouvait au centre d’une vaste clairière, elle-même située au milieu exact de la forêt domaniale.
Les gens accouraient à notre passage, la nouvelle qu’un nouveau miracle allait s’y produire s’étant répandue dans la ville comme une traînée de poudre. Personne n’aurait voulu manquer ça. Les tavernes se vidèrent, les rues furent désertées, les marchands laissèrent leurs étalages à la merci des voleurs, mais les voleurs eux-même se trouvaient déjà à la colline, tous voulaient savoir qui allait être l’élu qui les sauverait.
Chaque chevalier était sûr d’être choisi, et tous se pavanaient et bombaient avantageusement le torse, et chacun avait déjà préparé ses bagages en vue de son prochain départ.
Au sommet de la colline se trouvait l’autel sacré sur lequel Merlan s’adonnait parfois à certains rites connus de lui seul, et dont on ne savait pas très bien si lui-même en saisissait toute la portée. Je le revois encore grimper ce jour-là les marches rendues plus grossières qu’elles ne l’étaient déjà par une longue et lente érosion. Malgré son grand âge, son pas était alerte, quoiqu’il faillit à deux reprises se prendre les pieds dans sa grande robe bleue. Arrivé à l’autel, il prit une pose solennelle et toisa l’assemblée. Il tendit les bras et fit bien remarquer à tous qu’il n’avait rien ni dans les mains, ni dans les manches. Puis il fit apparaître un bouquet de fleurs au parfum délicat qu’il jeta négligemment dans les bras d’une jeune fille au décolleté avantageux. Tout le monde applaudit. Il montra alors sa main ouverte, la referma, prononça une formule du genre abracadabra, et quand il ouvrit le poing, il tenait une grosse pièce de dix écus. Chacun retint son souffle. Le rituel approchait de son dénouement.
Sur la paroi principale de l’autel, il y avait une petite fente grossièrement taillée. Merlan y glissa la pièce avec respect, et nous l’entendîmes dégringoler dans le vieux bloc de pierre. Il se fit un bruit sec, puis plus rien. La foule attendait. Les cœurs se serraient, les fronts se couvraient de sueur, le silence devenait angoissant.
-Eh bien quoi encore ! s’écria Merlan.
Il donna un bon coup de pied dans l’autel, et enfin le miracle s’accomplit. La liste fastidieuse mais nécessaire des partenaires officiels des Interventions Divines défila devant nous en lettres de feu, puis apparut l’être de lumière. C’était un grand homme, jeune, aux traits fins et délicats, aux belles boucles blondes qui lui tombaient sur les épaules en cascades dorés. Il flottait au dessus de la colline, porté par deux ailes blanches et environné d’une lumière apaisante. Des petits chérubins voletaient tout autour de lui, et chacun jouait d’un instrument différent, et leur chant ravit toute l’assemblée. L’archange se posa doucement sur l’autel et commença à nous sourire avec bienveillance, mais comme il avait plu la veille, la pierre était encore glissante. Il se cassa la figure. Les chérubins applaudirent en pouffant.
-Bon, ça va, ça va, dit l’ange en se relevant. Marrez-vous. Mais vous rirez moins, tout à l’heure, au débriefing, quand on reparlera de votre façon de jouer.
Vexés, les chérubins disparurent sur une fausse note. L’ange épousseta sa robe et remit de l’ordre dans ses cheveux. Merlan s’avança ver lui.
-Salut, Gabriel, fit-il en lui serrant la main.
-Salut, Merlan, mon vieil ami, répondit le messager divin.
La foule considérait la scène avec attention. Le déroulement du rituel en déconcertait plus d’un, mais après tout, un rituel est toujours quelque chose d’un peu hermétique.
-Le messager va parler ! annonça Merlan avec emphase.
Les chevaliers s’avancèrent. Tout le monde fut suspendu aux lèvres de l’archange.
-Désigne nous celui qui a été choisi pour aller combattre le Prince des ténèbres, dit Merlan.
-Oui, s’écrièrent les chevaliers avec impatience. Nous t’écoutons.
L’archange Gabriel toisa leur groupe avec grandeur. Il sortit alors ses lunettes et prit un air sérieux. Une enveloppe lui surgit des mains et il la décacheta d’un coup sec.
-Et le gagnant est…
Un petit chérubin revint juste à temps pour un roulement de tambour.
-…le Chevalier sans nom !
Un silence de mort s’abattit sur la forêt.
-Eh, mais c’est moi ! m’écriai-je.
Un vent de panique souffla alors sur toute l’assistance.
-Nous sommes perdus !
-Autant en finir tout de suite !
-C’est la fin du monde !!
Les chevaliers explosèrent.
-Mais c’est le plus mauvais d’entre nous ! s’exclama Javelot.
-Il ne sait même pas se servir de son épée ! ajouta Marmelade.
-Ca ne peut pas être lui ! s’écrièrent-ils tous en chœur.
Le roi s’avança et mit fin aux protestations.
-C’est ainsi, les coupa-t-il. Telle est la volonté de Dieu.
Mais son regard inquiet semblait indiquer qu’il avait de grands doutes sur la santé mentale du créateur s’il était capable de prendre ce genre de décision.
-Bon, ben c’est pas tout ça, dit l’archange. J’ai une partie en cours avec Michel, et il n’aime pas trop attendre.
Il posa son regard sur moi et me dit dans un sourire :
-Bonne chance, chevalier. Sans doute nous reverrons-nous.
Il me fit un clin d’œil, le vent secoua sa chevelure d’or, puis il disparut dans un éclat de lumière aveuglante.
Le roi, accompagné par Merlan et Bovin, vint à ma rencontre en se frayant tant bien que mal un passage jusqu’à moi.
-Majesté, m’inclinai-je.
-Venez avec moi, chevalier, me dit-il. Dans mon bureau, nous serons plus tranquilles pour discuter.
Autour de nous, les gens couraient dans tous les sens en criant. Certains partirent s’enfermer chez eux, d’autres creusaient leur tombe, d’autres encore vendaient toutes leurs actions pour une bouchée de pain. Des vieux bonzes chinois annonçaient la fin des temps, de sombre nuages obscurcissaient le ciel, une concentration inhabituelle de vautours se massa au dessus de la ville tandis que le directeur du cirque s’enfuyait avec la caisse et la femme du trapéziste.

dimanche 8 avril 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #1


Le temps est impitoyable avec les hommes, et il ne fait pas exception pour moi. Me voici, je le sens, au terme d’une vie faite d’aventures et d’exploits, chantée maintes fois par les bardes et les poètes. Il me faudra bientôt rejoindre mes amis déjà rassemblés pour le grand banquet de l’éternité. Je n’ai pas peur. A l’aube de ma mort, je ne sais toujours pas ce que ce sentiment veut dire. Mon existence fut bien remplie, suffisamment en tout cas pour que je n’ai pas à redouter ma fin prochaine, que j’envisage sans regrets ni tristesse.
Mais laissez-moi me présenter : pendant longtemps, on me connut comme le Chevalier-Sans-Nom. A l’époque où j’ai décidé de faire commencer mon récit, je ne savais rien de mes origines. Je ne me rappelais d’aucun détail de ma vie avant mes huit ans, âge où je fus recueilli par le duc de Foisdeuquatre, sujet parmi les plus prestigieux du royaume, qui fut comme un père pour moi, et dont la fille, la douce et chaste Rose, fut comme une sœur, et dont le valet de chambre, Jules, fut comme un valet de chambre, et dont le chien, le bien nommé Médor, fut comme un chien.
Pour une obscure raison, une antique tradition interdisait aux ducs du royaume de recueillir des orphelins. Depuis longtemps, cette tradition n’était plus respectée, mais il en restait tout de même quelques traces. Ainsi je ne pus jamais prendre le nom de mon illustre tuteur. Il m’éleva pourtant comme il l’aurait fait de son fils, et il me fit rentrer très vite dans la plus grande école de chevalerie du pays, l’HEC (Haute Ecole de Chevalerie), où je ne tardai pas à me faire une réputation : j’avais en effet développé l’étrange faculté de parler aux arbres. Il était ennuyeux, disait-on, que jamais un seul ne me répondit, mais ce n’était là que remarques amères des jaloux et des aigris, et je fus vite entouré d’amis fidèles comme Joyeudrille, impressionnés, à la limite de l’idolâtrie, par mon incroyable talent.
Le lecteur ne s’étonnera pas en apprenant que je fus très vite nommé chevalier, au cours d’une cérémonie dont je ne peux évoquer le souvenir sans ressentir encore une douce émotion. Mais même alors, fidèle à la ligne de conduite qu’il avait adoptée jusque là, le duc ne voulut m’éclairer sur mon passé. Quand je lui demandais des détails, il se contentait de vagues grognements ou feignait d’être intéressé par le compte-rendu que lui faisait son barde personnel du dernier épisode d’ « Amour, Gloire et Chat botté », alors que nul n’ignorait qu’il avait une sainte horreur de ce feuilleton, qu’il considérait comme l’un des signes avant-coureur du déclin de notre civilisation.
Le nom de Chevalier-Sans-Nom, sans en être un, fut difficile à porter, mais je m’en suis accommodé malgré tout, y trouvant même un certain parfum de mystère qui n’était pas pour me déplaire. Si j’avais su à l’époque combien illustre et loué il deviendrait, je pense que j’en aurais fait une marque déposée pour éviter qu’il ne fût galvaudé comme il l’a si souvent été depuis. C’est d’ailleurs pour réparer nombres d’injustices qui m’ont été faites par des poètes mal renseignés ou pire, en quête de sensationnel, que je me propose par le présent recueil de rétablir une certaine vérité historique.
A cette époque, le royaume des Orangers vivait paisiblement, et notre roi était juste et bon. Le peuple l’aimait, et tous lui rendaient grâce d’avoir su préserver la paix et l’harmonie, et d’avoir même su convaincre une grande puissance étrangère d’implanter près de la capitale un immense parc d’attractions qui attirait chaque année jusqu’à des dizaines de touristes, ce qui était toujours bon à prendre. Bref, le pays prospérait, et rien ne semblait devoir changer le cours des choses. C’est alors que commença mon aventure.

Et voici venir le Chevalier-Sans-Nom!


dimanche 1 avril 2012

Chaude journée


Il y avait un grand soleil, ce jour-là. Il faisait trop chaud, même.
Toute la ville était plongée dans une sorte de torpeur en guimauve blanche. Ca rendait les sorties désagréables, parce que c’était tout collant. Alors les gens ne sortaient pas.
-C’est mauvais pour les affaires, un temps pareil !
Le patron regardait par la vitrine de son bar du coin de la rue. Il voyait l’évaporation qui emmenait des choses invisibles.
-De quoi tu te plains, je commence à lui dire. La semaine dernière, il pleuvait trop !
-C’est vrai qu’il pleuvait trop…
 Une pluie coupante, plutôt dangereuse. On ne pouvait pas se promener sans son parapluie en fer, ou alors on se retrouvait le soir avec plein de petits bouts de pluie dans la peau, à enlever à la pince à épiler.
J’observai mon verre. Il s’était vidé sans que je m’en aperçoive. Une bonne bière bien fraîche ! J’étais un peu triste, je ne l’avais pas vue partir.
-Où est passée ma bière ?
-Je t’en ressers une autre…
Mais c’était des paroles en l’air, qui allèrent directement se coller au plafond, qui était déjà noir de mots.
J’avalai ma salive. Il ne m’en restait plus beaucoup : mes glandes parotides et sous-maxillaires étant asséchées, je ne pouvais guère plus compter que sur la sublinguale.
-Il ne se passe pas grand-chose, aujourd’hui, soupirai-je.
-Non.
En fait ce n’était pas tout à fait vrai, il s’était passé énormément de choses ce jour-là : une guerre avait pris fin, une autre avait commencé, la nuit était tombée de l’autre côté de la planète et un enfant sauvage avait été trouvé au fin fond de la jungle par un explorateur anglais.
Et une jeune fille venait d’entrer dans le bar.
Elle était jolie. Les boucles blondes de ses cheveux venaient lui caresser les épaules qui retenaient comme elles pouvaient les fines bretelles de sa robe à carreaux bleus. 

-Ah, fit le patron. Une demoiselle ! C’est plutôt rare…
-Pas étonnant, répliquai-je. Quand on voit l’état du bouge.. 
Il me jeta un œil désobligeant que j’esquivai assez facilement, car il avait été envoyé sans grande conviction.
La jeune fille cherchait une table propre, tâche d’autant plus malaisée qu’elles étaient toutes recouvertes de mouches mortes. Le patron alla en secouer une dehors, passa un coup de torchon dessus et invita la demoiselle à s’asseoir, ce qui l’obligea à débarrasser la chaise du rat qui l’occupait jusque là.
-Merci, dit-elle.
Sa voix était douce et mélodieuse. L’inverse eut été dommage.
-Qu’est-ce que je lui sers, à la petite demoiselle ? demanda le patron.
La petite demoiselle se retourna, puis elle comprit que c’était à elle que la question était adressée.
-Une grande orangeade bien fraîche !
Le patron prit un air désolé qui traînait par terre, le secoua un peu pour faire tomber la poussière, et le mit sur sa tête, mais à l’envers, ce qui lui fit un visage idiot.
-Je n’ai plus d’orangeade, ma petite demoiselle ! Depuis que le livreur d’orangeade est mort dans ma cave, on n’en sert plus…
Je me glissai dans la conversation avec satisfaction.
-D’ailleurs, ils ne sont jamais venu récupérer le corps ! Si vous voulez, je peux vous le montrer, ça vaut le détour !
La jeune fille m’offrit son plus beau sourire. Je crois que ma proposition la touchait plus que je n’avais espéré.
-Ce n’est pas la peine, j’en ai un chez moi !
-Un livreur d’orangeade mort?
-Celui-là venait livrer de la citronnade, de l’anisade, de la cavalcade et même de la débandade, ce qui n’était tout de même pas très convenable… Mais il est mort, et bien mort, je peux vous l’affirmer !
-Comment est-ce arrivé ?
-Il a raté une marche…
-Ca lui a brisé le cou ?
-Non, il s’est relevé indemne, alors ça a énervé mon escalier qui lui a donné un bon coup de rampe dans l’estomac !
-Hémorragie interne ?
-Non, il s’est relevé indemne, et puis il est reparti…
Je trouvais l’histoire passionnante, car elle mettait tous les accents de la vérité à la raconter.
-Et puis il est revenu chercher sa casquette, il m’a regardé comme s’il ne m’avait pas encore remarquée, et il est tombé à nouveau, mais amoureux cette fois-là. Et ça l’a tué net !
Je trouvai un bout de salive coincé sous ma langue, et je l’avalai avec peine.
Elle posa sur moi des yeux innocents, qu’elle avait dû emprunter pour l’occasion.
-Tous les hommes qui tombent amoureux de moi meurent sur le coup…
-Alors je vais me retenir !
Mais il était déjà trop tard. Je me sentis basculer en arrière, et la dernière chose que je vis fut sa petite robe à carreaux bleus qui virevoltait autour d’elle comme elle s’en allait boire une orangeade ailleurs.

vendredi 30 mars 2012

Le Grand Impalpable


Une ancienne illustration, ma première vraiment aboutie sous Photoshop je crois...
Pour l'histoire, pas de début, pas de fin, à vous d'inventer tout ça!

jeudi 29 mars 2012

Le raton-rêveur volant






































































































Un dessin qui date déjà un peu, et qui trône au-dessus du lit de ma petite fille de 2 ans pour accompagner ses rêves...