dimanche 1 avril 2012

Chaude journée


Il y avait un grand soleil, ce jour-là. Il faisait trop chaud, même.
Toute la ville était plongée dans une sorte de torpeur en guimauve blanche. Ca rendait les sorties désagréables, parce que c’était tout collant. Alors les gens ne sortaient pas.
-C’est mauvais pour les affaires, un temps pareil !
Le patron regardait par la vitrine de son bar du coin de la rue. Il voyait l’évaporation qui emmenait des choses invisibles.
-De quoi tu te plains, je commence à lui dire. La semaine dernière, il pleuvait trop !
-C’est vrai qu’il pleuvait trop…
 Une pluie coupante, plutôt dangereuse. On ne pouvait pas se promener sans son parapluie en fer, ou alors on se retrouvait le soir avec plein de petits bouts de pluie dans la peau, à enlever à la pince à épiler.
J’observai mon verre. Il s’était vidé sans que je m’en aperçoive. Une bonne bière bien fraîche ! J’étais un peu triste, je ne l’avais pas vue partir.
-Où est passée ma bière ?
-Je t’en ressers une autre…
Mais c’était des paroles en l’air, qui allèrent directement se coller au plafond, qui était déjà noir de mots.
J’avalai ma salive. Il ne m’en restait plus beaucoup : mes glandes parotides et sous-maxillaires étant asséchées, je ne pouvais guère plus compter que sur la sublinguale.
-Il ne se passe pas grand-chose, aujourd’hui, soupirai-je.
-Non.
En fait ce n’était pas tout à fait vrai, il s’était passé énormément de choses ce jour-là : une guerre avait pris fin, une autre avait commencé, la nuit était tombée de l’autre côté de la planète et un enfant sauvage avait été trouvé au fin fond de la jungle par un explorateur anglais.
Et une jeune fille venait d’entrer dans le bar.
Elle était jolie. Les boucles blondes de ses cheveux venaient lui caresser les épaules qui retenaient comme elles pouvaient les fines bretelles de sa robe à carreaux bleus. 

-Ah, fit le patron. Une demoiselle ! C’est plutôt rare…
-Pas étonnant, répliquai-je. Quand on voit l’état du bouge.. 
Il me jeta un œil désobligeant que j’esquivai assez facilement, car il avait été envoyé sans grande conviction.
La jeune fille cherchait une table propre, tâche d’autant plus malaisée qu’elles étaient toutes recouvertes de mouches mortes. Le patron alla en secouer une dehors, passa un coup de torchon dessus et invita la demoiselle à s’asseoir, ce qui l’obligea à débarrasser la chaise du rat qui l’occupait jusque là.
-Merci, dit-elle.
Sa voix était douce et mélodieuse. L’inverse eut été dommage.
-Qu’est-ce que je lui sers, à la petite demoiselle ? demanda le patron.
La petite demoiselle se retourna, puis elle comprit que c’était à elle que la question était adressée.
-Une grande orangeade bien fraîche !
Le patron prit un air désolé qui traînait par terre, le secoua un peu pour faire tomber la poussière, et le mit sur sa tête, mais à l’envers, ce qui lui fit un visage idiot.
-Je n’ai plus d’orangeade, ma petite demoiselle ! Depuis que le livreur d’orangeade est mort dans ma cave, on n’en sert plus…
Je me glissai dans la conversation avec satisfaction.
-D’ailleurs, ils ne sont jamais venu récupérer le corps ! Si vous voulez, je peux vous le montrer, ça vaut le détour !
La jeune fille m’offrit son plus beau sourire. Je crois que ma proposition la touchait plus que je n’avais espéré.
-Ce n’est pas la peine, j’en ai un chez moi !
-Un livreur d’orangeade mort?
-Celui-là venait livrer de la citronnade, de l’anisade, de la cavalcade et même de la débandade, ce qui n’était tout de même pas très convenable… Mais il est mort, et bien mort, je peux vous l’affirmer !
-Comment est-ce arrivé ?
-Il a raté une marche…
-Ca lui a brisé le cou ?
-Non, il s’est relevé indemne, alors ça a énervé mon escalier qui lui a donné un bon coup de rampe dans l’estomac !
-Hémorragie interne ?
-Non, il s’est relevé indemne, et puis il est reparti…
Je trouvais l’histoire passionnante, car elle mettait tous les accents de la vérité à la raconter.
-Et puis il est revenu chercher sa casquette, il m’a regardé comme s’il ne m’avait pas encore remarquée, et il est tombé à nouveau, mais amoureux cette fois-là. Et ça l’a tué net !
Je trouvai un bout de salive coincé sous ma langue, et je l’avalai avec peine.
Elle posa sur moi des yeux innocents, qu’elle avait dû emprunter pour l’occasion.
-Tous les hommes qui tombent amoureux de moi meurent sur le coup…
-Alors je vais me retenir !
Mais il était déjà trop tard. Je me sentis basculer en arrière, et la dernière chose que je vis fut sa petite robe à carreaux bleus qui virevoltait autour d’elle comme elle s’en allait boire une orangeade ailleurs.

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