samedi 15 décembre 2012

Les aventures du Chevalier-Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #4




Notre voyage durait depuis trois jours, et si nous ne nous étions pas d’abord trompé de route, erreur dont seule la mauvaise foi de Gilbérald, mon fidèle écuyer, l’empêchait de reconnaître la responsabilité, nous aurions pu être déjà bien loin de la capitale. Toutefois, nous avions forcé l’allure dans la journée, et nous pouvions voir à présent les cimes de la forêt des Horreurs, dont la réputation était loin d’être excellente, en partie à cause de la présence en son sein du cyclope Inette, un monstre terrifiant et sanguinaire.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, chevauchait à mes côtés, l’air préoccupé.
-Je me demande si nous arriverons à temps pour éviter que le général Toultant et ses hommes ne se fassent mettre en pièces, dit-il. Czxywitzcultac est à tant de lieues d’ici !
-Il est vrai qu’à cause de toi, nous avons perdu beaucoup de temps. Mais je ne saurais douter de mon succès. Dieu a pointé son doigt sur moi, et son petit doigt me dit que le fourvoiement n'est pas mon destin !
-Pourvu que nous ne nous en mordions pas les nôtres...
-Homme de peu de foi, soupirai-je.
Le soir approchait et faisait peu à peu rougir les nuages, et nos ombres s’allongeaient pour bientôt disparaître dans la pénombre. Une auberge, d’abord cachée par quelques arbres, apparut sur le bord du chemin, et ses fenêtres chaleureusement éclairées semblaient nous inviter à venir y passer la nuit.
-Holà, aubergiste ! criai-je. Une chambre pour la nuit ! Et mène nos chevaux à l’écurie !
-Bien, monseigneur.
Nous étions bientôt attablés devant un bon dîner, quand le tavernier vint nous voir.
-Monseigneur, dit-il timidement, si j’osais…
-Osez, mon brave, osez !
-Eh bien en fait, il s’agit d’une bande de brigands qui sévit dans la région depuis quelques jours. Leur chef est Rick Iki, un homme dur et violent qui a instauré un véritable climat de terreur depuis que les soldats du roi ont dû partir pour garder la frontière Et il a décidé de se venger de moi car je lui ai refusé la main de ma fille.
-Vous avez une fille ? dis-je, brusquement intéressé.
-Non, justement ! C’est bien là le drame ! Sinon, vous pensez bien que jamais je n’aurais pris le risque de lui déplaire.
-Et qu’attendez-vous donc de moi, brave homme ?
L’aubergiste se tortilla et enfouit ses mains dans son tablier.
-Si vous pouviez les mettre hors d’état de nuire, cela me rendrait un fier service, ainsi qu’à toute la région. Et je pourrai à nouveau dormir sur mes deux oreilles.
Je ne savais quoi lui répondre.
-Je ne peux rien vous garantir, vous savez. Je n’ai guère le temps de m’occuper de ça. La meilleure solution pour vous serait de vous procurer une fille le plus vite possible.
Je voyais bien à sa mine désappointée qu’il était loin d’être satisfait de ma réponse. Il n’aborda toutefois plus le sujet de la soirée, et nous ne tardâmes pas à aller nous coucher. La nuit se passa sans incidents, et ce fut frais et dispos que nous reprîmes notre route.

 * * * * * * * * *

Nous avions déjà dépassé l’heure de manger quand Gilbérald, mon fidèle écuyer, me fit remarquer que nous nous dirigions droit vers la forêt des Horreurs.
-Je le sais bien, dis-je. Cela te pose un problème ?
-C’est bien là que vit le cyclope Inette, non ? Ca ne vous effraie pas ?
Je pris un air indigné.
-Enfin quand même, continua-t-il, il a déjà vaincu un grand nombre de héros au palmarès pourtant riche en exploits. Siegfried le Héros et Sire Maginot eux-même n'ont rien pu faire contre lui !
Je lui adressai un regard miséricordieux.
-Ne me compare pas à ces guerriers de bas étage, dis-je, tout juste bons à pêcher à la ligne. La meilleure chose qui puisse arriver à ce cyclope, c’est de ne pas croiser notre chemin.
-On pourrait faire le tour, non ?
-Cela ne ferait que nous retarder ! Et puis ça suffit comme ça, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! De quoi aurais-je l’air si à la moindre difficulté je dévie de ma route ?
Il ne répondit rien, mais au bout de quelques minutes, il ne put s’empêcher de me mettre à nouveau en garde.
-Laissez-moi ouvrir la marche, mon maître ! Je repense à ces brigands dont nous a parlé l’aubergiste. Ca ne m’étonnerait pas qu’ils aient installé leur campement aux abords de la forêt, là où rares sont ceux qui osent s’aventurer. Et ce lieu me semble propice aux embuscades.
-Tu crains donc une embuscade, dis-je sans pouvoir m’empêcher de sourire. Tu me feras toujours rire, Gilbérald, mon fidèle écuyer !
J’avais à peine achevé ma phrase qu’une flèche vint se ficher dans son épaule. Il pâlit mais ne tomba pas de son cheval.
-Hardi, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! m’écriai-je en dégainant mon épée. Ce n’est pas le moment de céder à la souffrance ! Sors ton couteau, et défendons chèrement ma vie !
Gilbérald, mon fidèle écuyer, payait cher son manque de vigilance, mais l’heure n’était certes pas aux reproches. Dix rudes gaillards se ruaient sur nous comme des beaux diables, hurlant et agitant leurs haches, leurs masses d’armes et leurs glaives au-dessus de leur tête.
Cela me semblait bien dangereux. D’ailleurs, l’un d’eux ne tarda pas à trébucher et à s’empaler sur son épée. Un autre coupa la tête à deux de ses compagnons, ce qui était prévisible, tant son manque d’attention était manifeste. Au même instant, celui qui le suivait s’étrangla sans surprise avec la fronde qu’il faisait tournoyer très maladroitement. Un autre encore tomba bêtement dans un piège à tigre, où il fut transpercé de part en part par des pieux acérés. Son voisin, quant à lui, traversa sans regarder et se fit bien évidemment écraser par un bus, tandis qu’un autre était pris en otage par des terroristes aux idéaux fallacieux. Le plus grand de ces brigands, averti par son majordome que ses actions venaient de chuter de manière catastrophique et que sa femme le quittait, se suicida sans plus attendre. Enfin, celui qui semblait être le chef fut enlevé par un ptérodactyle. Ainsi fut défaite la terrible bande de Rick Iki.
Il y avait toutefois un survivant que je ne remarquai pas tout de suite. En effet, le dernier de ces joyeux drilles courait toujours comme un fou dans notre direction, et je m’étonnai un instant qu’il soit encore en vie. Il arriva sur nous en hurlant, mais son élan fut tel qu’il percuta mon cheval de plein fouet et s’étala de tout son long face contre terre. Je notai alors qu’il n’avait pas d’arme, ce qui expliquait sans doute qu’il ait pu courir aussi longtemps sans se tuer lui-même.
Il se releva avec peine, se tenant la figure à deux mains en gémissant.
-Tout va bien, mon brave ? lui demandai-je.
-Oui, oui, monseigneur, dit-il. C’est bien aimable à vous de vous en préoccuper.
Il nous regarda un instant en se massant le visage sans rien dire, considérant tour à tour ma bourse bien remplie et ma lourde épée qui pendait à mon côté. Finalement, il sembla prendre une décision.
-Vous avez cru que nous vous attaquions, peut-être ? dit-il.
-Ma foi, je dois bien avouer que l’idée m’a traversé l’esprit.
L’homme éclata de rire.
-Ah ah ah ! Qu’allez-vous chercher là !
Il intercepta mon regard sceptique.
-Bon, admit-il, on vous attaquait peut-être un peu. Mais moi, j’étais contre !
Le sympathique bandit n’était pas bien grand, pas très costaud non plus, et il n’avait pour se protéger du soleil qu’une petite touffe de cheveux roux au sommet de son crâne. Ses yeux, se réduisant à deux petites fentes, semblaient continuellement sur le qui-vive.
-Apprends-nous donc ton nom, mon ami, dis-je.
-Thébault, monseigneur.
-Merci, fis-je. Je sais. Quant à ton nom, si tu préfères le garder secret, tu dois avoir tes raisons. Je suis désolé de m’être montré aussi indiscret. Un passé douteux, peut-être ?
Je le regardai d’un air entendu et lui fis un clin d’œil.
-Douteux, douteux, c’est vite dit, monseigneur, s’offusqua notre ami. Je suis très influençable, voyez-vous, et Rick Iki, cet infâme brigand, a bien su profiter de ma faiblesse de caractère. J’ai donc été entraîné malgré moi dans une vie de débauches et de dépravations sans fin, une spirale infernale à la pente savonneuse. Rendez-vous compte qu'il m’a obligé à commettre vols et assassinats, alors que je suis allergique à toute violence ! Ah, le calvaire que j'ai enduré, monseigneur ! Moi qui n’aspirais qu’à élever des abeilles et soigner quelques fleurs dans la paisible retraite d’un humble petit jardinet.
Je posai alors ma main sur son épaule.
-Allons mon ami, tu n’as pas à te justifier ainsi devant moi. Je me moque bien de ton passé, et ce n’est certes pas à moi de te juger. Mais tu me plais bien, aussi vais-je te faire une proposition. Que dirais-tu de m’accompagner dans ma quête ? J’ai besoin d’hommes francs et courageux comme toi !
Il me toisa de ses petits yeux, dans lesquels je pus lire une certaine suspicion.
-Francs et courageux comme moi ? Dites, ça ne serait pas un peu dangereux, votre quête, là ?
-Assurément ! Très dangereux ! Il y a même fort à parier que tu n’en reviennes pas vivant.
Il recula d’un pas.
-Bon voyage, monseigneur !
-Le roi sait se montrer généreux envers ceux qui ont bien mérité de lui. Si tu m’aides à sauver le royaume, c’est la gloire et la fortune qui t’attendent !
-Qu’attendons-nous pour partir ?
-Mais nous partons sur le champ ! Nous n’avons perdu que trop de temps !
Je m’élançai déjà sur la route, quand mon nouveau compagnon me héla d’une voix étonnée.
-Et votre écuyer, monseigneur ! On le laisse ici ?
Je me retournai et considérai Gilbérald, mon fidèle écuyer, d’un œil circonspect. Il semblait effectivement peu enclin à poursuivre le voyage. Il restait bêtement planté sur son cheval, qui broutait paisiblement quelques racines sur le bord du chemin, et il regardait fixement devant lui, l’œil éteint, la langue pendante, le poil terne. Maintenant que j’y pensais, il me revenait en effet qu’il ne m’avait pas été d’un très grand secours lors de mon âpre bataille contre les brigands.
-Qu’as-tu donc encore été inventer pour nous retarder ? lui criai-je.
Il resta sans réactions.
-Je crois, dit mon ami, que c’est à cause de cette flèche qui lui dépasse de l’épaule.
J’examinai attentivement l’épaule de Gilbérald, mon fidèle écuyer. Une flèche était effectivement fichée dans sa chair, et le sang coulait légèrement le long de son bras.
-Une petite flèche comme ça ? Tu crois ?
-Eh bien, en fait, dit le petit brigand en riant d’un air gêné, je crois qu’on l’avait un peu empoisonnée. Mais ce n’était pas mon idée ! Je crois même me souvenir que j’étais contre.
Heureusement, le poison n’était pas fulgurant. On pouvait encore le sauver si on ne tardait pas trop à trouver l’antidote. Mon sympathique ami me laissa même entendre qu’une vieille sorcière vivant dans la forêt des Maléfices avait sans doute le pouvoir nécessaire pour le soigner. La forêt des Maléfices, pour ceux à qui la géographie de la région est inconnue, était limitrophe de la forêt des Horreurs. On pouvait considérer qu’il s’agissait là de la même et unique forêt, mais on faisait quand même la différence, ne serait-ce que parce qu’elles n’avaient pas le même nom.
-Je ne sais pas ce qui me retient de te laisser là, Gilbérald, mon fidèle écuyer ! J’avais bien besoin de ça, tiens ! Enfin, nous allons tout de même essayer de te sauver. Ne t’inquiète pas, Roger m'a confié que le poison ne te tuera pas avant la fin de la journée, normalement. D’ici là, tu auras le temps de devenir tout bleu, puis tout vert, puis mauve avec des points jaunes, ce qui au passage sera du plus mauvais goût. Ensuite, tu perdras tes cheveux, puis tes dents, et tu deviendras aveugle et muet. Et alors tu délireras et tu auras de terribles accès de fièvre, ta peau se craquellera, tu vomiras du sang et tu étoufferas lentement pour finalement agoniser dans d’atroces souffrances.
Après l’avoir ainsi rassuré, je me tournai vers le petit homme.
-Il est assez rigolo, votre poison, dis-je.
-On s’y est mis à plusieurs pour le trouver.
-Dis-moi, cela te dérange-t-il si je te trouve un nom ? Moi-même, je n’en ai pas, mais si nous devons être deux dans ce cas, nous allons avoir du mal à nous y retrouver. Tu t’appelleras donc désormais Roger !
Il répéta son nouveau nom trois ou quatre fois pour en apprécier la sonorité, puis avec un haussement d’épaule résigné, il me dit :
-Après tout, pourquoi pas ? Roger, ce n’est pas si mal pour un nouveau départ.
Il était plus que temps de se remettre en marche, car Gilbérald, mon fidèle écuyer, tournait déjà au bleu ciel. Et c’est ainsi que nous partîmes gaiement vers la forêt des Horreurs, sans une seule idée des formidables aventures qui nous y attendaient.




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