vendredi 21 juin 2013

Les aventures du Chevalier Sans-Nom et de Gilbérald, son fidèle écuyer #6


Guidés par Yam, il ne nous fallut que quelques minutes pour arriver à la chaumière de la vieille sorcière. Mais on ne pouvait s’y tromper: c’était un vrai repaire de pythie malfaisante, lugubre à souhait, des chauves-souris s’échappant des moindres recoins. D’aspect délabré, elle aurait pu sembler abandonnée si ce n’était cette fumée verdâtre qui s’échappait de la cheminée.
Nous traversâmes le petit jardin, et si les ronces qui l’envahissaient semblaient n‘avoir pour seul jardinier que l‘Anarchie, il n’en était rien, et nous nous aperçûmes bientôt qu’elles avaient été habilement placées de telle manière qu’il était impossible au visiteur des les éviter. C’est donc les jambes écorchées de toutes parts que nous atteignîmes tant bien que mal la porte.
Un petit écriteau, qu’un vieux clou rouillé tentait de retenir, indiquait: « Vieille Serpillière, sorcière. Frappez fort avant d’entrer ».
Sans plus attendre, je frappai fort. Mon coup sur la porte en chêne massif ne rendit aucun son. Mon cri de douleur, par contre, ne manqua pas d’alerter la maîtresses des lieux.
-Entrez! nous lança une voix râpeuse.
La porte s’ouvrit tout doucement,  prenant visiblement un grand plaisir à grincer de tous ses gonds. Je poussai alors Gilbérald, mon fidèle écuyer, dans  la salle obscure qui se présentait à nous.
-C’est bon, dis-je, il semble qu’il n’y ait pas danger.
Les ténèbres qui régnaient dans la pièce étaient à peine dérangées par la lueur dansante du feu de la cheminée, au-dessus duquel était suspendue une grosse marmite d’où s’échappait en gerbes bouillonnantes une étrange mixture verte qui faisait crépiter les flammes. Des toiles d’araignée pendaient ça et là en grappes fantastiques. Les étagères poussiéreuses se trouvaient encombrées d’alambics et de bocaux de toutes sortes, dans lesquels fermentaient des serpents, des lézards et de la liqueur de cassis. Confortablement installé sur un perchoir biscornu, un hibou nous observait de ses grands yeux et faisait hou hou, comme ça. 
La vieille Serpillière, quant à elle, se tenait tordue devant une lourde table érodée par le temps, occupée à prélever la bave d’un crapaud plus ou moins consentant. Elle leva la tête à notre arrivée, et ses yeux vitreux nous dévisagèrent un instant.
-Encore toi! cracha-t-elle à l’adresse de Yam. Je ne peux rien pour toi, je te l’ai déjà dit! Ma boule de cristal est toujours en panne.  
-Cette fois-ci, ce n’est pas pour moi. Je vous amène juste des voyageurs qui vous cherchaient afin de bénéficier de votre science de guérison.
Je lui présentai Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Il s’est bêtement blessé avec une flèche empoisonnée, là, dans l’épaule, et douillet comme il est, il ne lui en a pas fallu plus pour se retrouver dans cet état de délabrement avancé.
La vieille Serpillière considéra Gilbérald, mon fidèle écuyer.
-Il n’a effectivement pas l’air bien en forme. Le mal en est a un stade avancé. Je pense cependant pouvoir faire quelque chose pour lui, mais les ingrédients nécessaires à son salut sont rares, et mon intervention n’est pas gratuite.
Elle fourra ses doigts décharnés dans sa bouche, d’où elle extirpa un gros asticot encore grouillant, qu’elle avala aussitôt.
-Je déteste avoir des restes de repas coincé entre les dents, grogna-t-elle. Bon, ça vous fera cent écus.
-Mais c’est très cher, ça! sursautai-je.
-Et non remboursable par la Sécu, ajouta-t-elle. Mais il est inutile de marchander, c’est à prendre ou à laisser.
-Tu vois ce que me coûtent tes bêtises, Gilbérald, mon fidèle écuyer! Mais sois assuré que je retiendrai tout ça sur ton salaire!
A contrecœur, je sortis cent écus de ma bourse. La vieille femme les happa avidement et se mit à les compter. Puis, satisfaite, elle se dirigea vers le malade et commença à l’ausculter comme seules les sorcières savent le faire.
-Dites 33! Tirez la langue! Toussez! Arrêtez de respirer! Donnez-moi votre bras! Fermez les yeux! Penchez la tête! Respirez! Debout! Assis! Couché! Respirez, j’ai dit !
Après avoir donné son sususcre à Gilbérald, mon fidèle écuyer, elle se retourna vers nous.
-Alors, c’est grave? demandai-je. Ne nous épargnez pas les détails, nous avons besoin de savoir!
-Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il survivra. Par contre, je ne sais pas dans quel état! Bien entendu, la maison décline toute responsabilité en cas d’effets secondaires indésirés, et le prix convenu ne saurait faire l’objet d’aucune réclamation.
-Ne vous inquiétez pas, dis-je. Il n’était déjà pas bien normal avant, cela ne saurait être pire!
La vieille Serpillière se retira dans sa réserve, et après un court instant, en ressortit en possession d’un petit flacon de verre opaque, contenant, m’assura-t-elle, un contre-poison de sa composition capable de venir à bout des venins et des toxines les plus redoutables, qu’ils soient connus ou inconnus. Si nous suivions bien toutes ses recommandations et que nous ne dépassions pas la dose prescrite, Gilbérald, mon fidèle écuyer, devrait être rétabli sous cinq jours.
-Cinq jours! m’écriai-je. Mais c’est horriblement long, ça! J’ai une quête à accomplir, moi, et nous n’avons déjà perdu que trop de temps! Je ne peux pas me permettre de m’encombrer d’un écuyer en plein délire, il nous retarderait!
-Ca, dit la vieille sorcière, c’est votre problème.
-Vous ne pouvez pas le garder ici le temps qu’il guérisse?
-Pardon?
-Vous verrez, il est très propre, et très affectueux avec tout ça! Bon, un peu maladroit, et totalement inutile, mais...
-Ce n’est pas un hôtel, ici! vociféra-t-elle. Et maintenant, déguerpissez avant que je ne décide de vous transformer en vers de terre!!
La condition de ver de terre ne me semblant pas être la forme la plus adaptée au bon déroulement de ma mission, je ne discutai point, et suivi de mes compagnons, je m’éloignai le plus rapidement possible de la chaumière. Nous ne tardâmes pas à réintégrer le chemin qui devait nous mener hors de cette forêt maudite.
Arrivé là, je fis boire une gorgée de contre-poison à Gilbérald, mon fidèle écuyer. Le breuvage semblait être efficace, puisque notre malade perdit aussitôt sa teinte mauve et cessa de délirer.
-Il est déjà guéri? demanda Roger.
-Je ne crois pas, non, dit Yam. La vieille Serpillière a bien dit qu’il fallait attendre cinq jours avant la guérison complète.
-Tu as sans doute raison, mon garçon, ajoutai-je. Il ne semble d’ailleurs pas avoir repris totalement ses esprits, ce qui tendrait à prouver, contre toute attente, qu‘il en avait autrefois.
Gilbérald, mon fidèle écuyer, gardait en effet les yeux fixés dans le vide et affichait un sourire béat
-Bon, espérons qu’il ne soit pas une trop lourde entrave à notre avancée. Eh bien, Yam, je suis ravi d’avoir fait ta connaissance, mais nous n’allons pas nous éterniser ici plus longtemps...
-Chevalier, me dit-il alors, je comptais vous demander la permission de vous accompagner un bout de chemin, le temps du moins que Gilbérald se rétablisse et puisse me mettre sur les traces de l’assassin de mon père. Je suis sûr qu’il sait quelque chose!
-Eh bien soit, mon jeune ami! Mais notre voyage risque de ne pas être de tout repos! Il est juste que tu en sois informé.
-Le danger ne m’effraie pas, vous verrez, et sans doute ne serai-je pas de trop s’il se fait trop pressant!
L’avenir n’allait pas tarder à lui donner raison. Nous quittions la forêt des Maléfices sans regrets, mais nous ne nous doutions pas que les multiples périls auxquels nous avions dû faire face jusqu’à présent n’étaient que récréation et divertissement en comparaison des épreuves qui nous attendaient sur la route de Czxywitzcultac.

* * * * * * * *

Trois jours s’étaient cependant écoulés sans qu’aucun incident ne vienne perturber le cours de notre route. Le remède de la vieille Serpillière accomplissait lentement son oeuvre, et Gilbérald, mon fidèle écuyer, recouvrait peu à peu ses facultés, si tant est qu’on put appeler ainsi ce qui lui en tenait lieu. Ses crises étaient de moins en moins fréquentes, et Yam achevait de compléter le traitement par ses bons soins. Le jeune homme nous avait donné plus de précisions sur les circonstances tragiques de la mort de son père, lâchement abattu d’un coup d’épée dans le dos par un homme dont il ne connaissait qu’une seule particularité: il avait une oreille plus grande que l’autre, signe distinctif peu courant et sur lequel il comptait indéfectiblement pour identifier le meurtrier.
Nous traversions alors une région fort agréable, parsemée de collines et de petits bois, que traversaient de nombreux cours d’eau, mais que je ne parvenais pas à trouver sur la carte. Je ne me suis du reste jamais beaucoup fié à ces  illustrations d’atlas tout justes bonnes à induire le voyageur en erreur, leur préférant sans conteste mon indéniable sens de l’orientation.
La nuit s’apprêtait à tomber. Déjà, le soleil disparaissait derrière les collines et les nuages prenaient les teintes mauves du soir. Les lointaines lumières d’une ville furent donc les bienvenues, et furent accueillies comme les promesses d’un repas chaud et d’une nuit douillette. Nous nous hâtâmes de les rejoindre avant que la nuit ne soit trop avancée.
Arrivés aux portes de la ville, nous dûmes soutenir l’examen minutieux du portier, dont la lanterne éclairait nos visages d’une lueur blafarde mais non moins inquisitrice.
-Vous êtes des voleurs? nous demanda-t-il d’un ton suspicieux.
-Assurément non! répondis-je.
-Vous pouvez passer, alors, dit-il dans un soupir de soulagement. Je vous souhaite un agréable séjour dans notre ville, en vous priant de bien vouloir m’excuser pour les désagréments qu’a pu causer cet interrogatoire portant sur des questions certes personnelles, mais qui n’avait d’autre but que d’assurer votre sécurité!
-Nous comprenons, dis-je. Vous ne pouvez laisser entrer n’importe qui, c’est tout à fait normal!
-Il y a beaucoup de voleurs dans la région? demanda Yam.
-Beaucoup, non,. Mais depuis quelques temps, le bruit court que la terrible Jehanne et son inquiétant complice, le Chat Ninja, rôdent dans le pays.
Un frisson parcourut Roger. Jetant un regard inquiet derrière lui, il ne put s’empêcher de répéter d’une voix faible:
-Jehanne et le Chat Ninja!
-Tu as déjà entendu parler d’eux, mon bon Roger?
La visible frayeur de mon compagnon, lui d’habitude si brave, ne manqua pas de m’ébranler. Le portier se pencha vers nous et la lumière de sa lanterne lui donna l’air d’un conspirateur.
-Ce sont des êtres étranges et mystérieux, nous dit-il dans un souffle à peine audible. D’aucuns prétendent qu’il s’agit de deux démons sortis des Enfers pour accomplir les desseins démoniaques du Malin. Personne ne connaît leur visage. Ils apparaissent et disparaissent à leur gré, et on prétend même qu’à l’instar de Kijaï, le fabuleux héros de nos légendes, ils seraient immortels! Leur tête a été mise à prix par de nombreux seigneurs, mais aucun chasseur de primes n’a encore réussi à les débusquer... Mais ne soyez pas inquiets, tant que je serais le gardien de cette ville, ils n’en verront jamais rien d’autre que ses murailles!
Roger n’était rassuré qu’à moitié, mais nous décidâmes qu’il était tout de même plus prudent de dormir dans l’enceinte de la ville qu’au dehors. Nous n’eûmes pas trop de peine à trouver une auberge, à quelques rues de là. Son enseigne, quelque peu originale, représentait un homme tout vert près à vomir, et elle avait pour nom « A La Bouffe Infâme ».
-Celle-ci m’a l’air très bien, dis-je.
A peine avions-nous franchi la porte qu’un  gros monsieur au nez rouge s’empressa de nous accueillir.
-Bonjour, messires! Que puis-je pour vous?
-Nous souhaiterions une chambre pour la nuit!
-Désirez-vous manger également?
-Volontiers, nous avons fait une longue route aujourd’hui
Il remarqua alors Gilbérald, mon fidèle écuyer, dont le teint verdâtre restait encore tributaire des derniers effets du poison.
-Tiens! fit l’aubergiste, étonné. Votre visage m’est inconnu, et pourtant on jurerait que vous êtes un habitué de la maison.
Il appela un jeune garçon à la mine taciturne.
-Clopin va vous montrer votre chambre.
Clopin nous fit monter à l’étage et nous présenta notre chambre: petite mais suffisamment confortable pour une nuit . Elle contenait deux paires de lits superposés, ce qui fut cause d’un léger conflit quand se posa la question de savoir qui allait prendre les lits du haut. Ce détail fut réglé à la courte-paille, et après avoir couché Gilbérald, mon fidèle écuyer, nous descendîmes dans la salle à manger.
Il y avait monde, ce soir-là, à l’auberge de la Bouffe Infâme, mais nous parvînmes à trouver une table libre dans un coin de la salle. La pièce enfumée était emplie de rires et de chants. Seul un petit groupe de Poules Masquées, tribu belliqueuse s’il en est, se tenait à l’écart, jetant des regards hostiles autour d’elles.
L’aubergiste vint prendre notre commande. Cette auberge, nous assura-t-il, avait la particularité de ne proposer que des plats immangeables.
-Avec nous, nous assura-t-il d’un air solennel, c’est non satisfait ou remboursé!
Yam préféra ne rien prendre, Roger se risqua à commander une soupe, et ce fut pour moi l’occasion ou jamais de goûter aux saveurs d’un « intestin de chameau farci aux yeux de crapauds et son coulis de fraises périmées »
-Excellents choix! Vous ne trouverez jamais rien de semblable ailleurs! affirma l’aubergiste.
-J’espère bien, dit Yam.
Nos plats ne tardèrent pas à être prêts.
-Bien, je vous souhaite un mauvais appétit! N’hésitez pas à vous servir, si le cœur vous en dit, des petits sacs placés sous vos chaises.
-Dites donc! fit Roger. Il y a une mouche dans ma soupe!
-Oui, mais ne vous inquiétez pas! Elle est comprise dans le prix!
Roger, en amoureux des bêtes qu’il était, préféra laisser la mouche barboter tranquillement dans sa soupe. Quant à moi, je ne fis qu’une bouchée de mon intestin farci. Mes compagnons me regardèrent manger d’un air où se mêlaient l’admiration et le dégoût.
-Comment pouvez-vous avaler ça, monseigneur?! me demanda Roger.
-Tu sais, mon bon Roger, « ventre affamé n’a pas d’oreille! », comme on dit.
Il me regarda de biais un instant, puis haussant les épaules, se plongea dans la contemplation de la mouche occupée à faire ses brasses.. Il fabriqua même, au grand bonheur de l’insecte, un petit plongeoir avec sa cuillère, et la mouche eut le temps de perfectionner son double salto avec triple vrille avant que l’aubergiste ne revienne.
-Alors?
-Vous aviez raison, dis-je. C’était vraiment dégueulasse!
-Mais... sursauta-t-il. Vous avez tout mangé?!
-Vous savez, « ventre affamé n’a pas d’oreille ».
-C’est la première fois que je vois quelqu’un finir son assiette!
-Et vous faites beaucoup d’affaires? demanda Yam.
-Non, pas vraiment! dit l’aubergiste en riant. Il faut bien dire que nous ne revoyons jamais deux fois le même client. Certains partent même sans payer, sans compter ceux qui veulent qu’on les rembourse!
Comme pour confirmer ses propos, trois rudes gaillards s’approchèrent de lui et l’un d’eux le souleva par le col.
-Tu vas nous rembourser notre repas! grogna-t-il.
-Qu’est-ce que je vous disais! nous lança l’aubergiste. En plus, ceux-là n’ont même pas encore payé!
 Ne pouvant tolérer un tel comportement, je me levai, et une lueur menaçante dans le regard, je vins défier les trois brutes.
-Je vous conseille de lâcher cet homme, manants, ou vous aurez affaire à moi!
-Reste en dehors de ça, mon gars!
-Vous ne m’impressionnez pas! leur assénai-je. J’en ai terrassé des plus forts que vous!
Ils me considérèrent en ricanant, et le plus petit des trois, qui me dépassait d’un bon mètre, prit une table en chêne massif entre ses bras et, les resserrant tels un étau, la brisa sans aucun effort.
-Remboursez-les, aubergiste ! dis-je.
-Jamais !
Celui qui le tenait le lança alors au travers de la pièce, et il alla s’écraser sur la table des Poules Masquées, qu’un homme avait rejointes entre temps. Les Poules se dispersèrent en piaillant.
-Et maintenant ? rugit le géant.
-Vous feriez mieux d’en rester là avant que ça ne tourne mal, dit Yam. Pour vous, bien entendu !
Le colosse se tourna vers le jeune garçon, et il le domina de toute sa masse imposante.
-C’est à nous que tu parles, freluquet ?
Yam ne lui laissa pas l’occasion d’en dire plus. Il me sembla que son poing ne s’abattit qu’une seule fois, et pourtant les trois hommes s’écroulèrent à ses pieds, assommés. Le silence régnait dans la salle, puis les conversations reprirent peu à peu, mais Yam allait être à présent au cœur de celles-ci pour de longues semaines.
-Merci, mon garçon! dit l’aubergiste en se relevant. A vous voir, on ne vous prêterait pas une aussi grande force. Ces trois-là n’étaient pas des mauviettes!
L’homme qui parlait avec les Poules Masquées s’invita alors à notre table. Il était plutôt bien bâti, dans la force de l’âge, carré d’épaules, avec un large cou supportant une tête échevelée, mal rasée, une longue balafre achevant de lui donner un air farouche.
-Je vous offre quelque chose? demanda-t-il.
-Non merci, fit Yam, méfiant.
-Il est vrai que cette auberge porte plutôt bien son nom, dit l’homme. Allons dans celle d’en face, je pense qu’elle est d’une autre qualité.
L’auberge en question s’appelait « Au Petit Gourmet, Auberge d‘une Autre Qualité que Celle d‘en Face», et nous fûmes bientôt attablé devant un somptueux repas.
-Votre force est impressionnante! commença le balafré.
-Je sais, dis-je. Et encore, vous n’avez rien vu!
-Je parlais du jeune garçon!
-Ah, oui, il n’est pas mauvais non plus.
-Et en quoi cela vous intéresse-t-il? demanda Yam.
-J’ai un travail à vous proposer. Voilà, je suis chasseur de primes, peut-être avez-vous entendu parler de moi, je suis plutôt assez connu sous le nom de La Girafe.
Yam se leva de table.
-C’est un milieu que je ne fréquente guère, et je tiens à ce que cela reste ainsi.
-Vous avez tort. Il y a énormément d’argent à la clef!
-L’argent ne change rien à l’affaire!
-Nous sommes vos hommes! dis-je.
-De quoi s’agit-il? demanda Roger.
-Je suppose que vous avez entendu parler de Jehanne et du Chat Ninja.
Roger se leva à son tour.
-Oui, justement:
-A nous tous, dit le chasseur de primes, nous en viendrons facilement à bout. Ils ne sont sûrement pas aussi terribles que ça.
-Ils sont immortels!
-Ce ne sont que des contes pour faire peur aux enfants. L’homme qui m’a engagé a eu affaire à eux, et il m’a certifié qu’ils étaient aussi mortels que vous et moi.
-Comme vous le dites si bien, nous sommes mortels!
-Pour quel seigneur travaillez-vous? demanda Yam.
La Girafe le considéra d’un oeil mauvais.
-Cela ne vous regarde pas, du moment qu’on vous paye!
-Avez-vous entendu parler d’un homme dont une oreille est plus grande que l’autre?
A ces mots, le chasseur de primes se leva en donnant un coup de pied dans la table.
-Aïe aïe ouille ! s’écria-t-il en sautant à cloche-pied autour de la table qui n’avait pas bougé d’un poil.
-Des subterfuges aussi grossiers ne prendront pas ! dit Yam en souriant. Maintenant, répond à ma question !
-Oh ! s’exclama La Girafe. Derrière vous !
 Le temps de nous retourner et La Girafe avait disparu. Yam était furieux.
-Il s’est enfui!
-Ah ben oui, tiens ! dis-je. Comment a-t-il fait ?
Le jeune garçon ne tenait plus en place.
C’est alors que je remarquai, dans le coin le plus obscur de la pièce, deux ombres encapuchonnées. Se glissant jusqu’aux tréfonds de mon âme, deux yeux de chat, brillants d’une lueur malveillante, me scrutèrent avec insistance.
-Sortons, dis-je, mal à l’aise.
Comme je me retournais une dernière fois avant de quitter la salle, je pus remarquer que les deux hommes avaient disparu. Pourtant, comme si leur reflet n’avait pu se détacher de l’ombre dans laquelle ils étaient tapis une minute auparavant, les yeux de chat semblaient continuer à me dévisager.

Ma nuit fut longue et agitée, parcourue de rêves malsains et inquiétants, dans lesquels des yeux de chameau m‘observaient du haut d‘un cou de girafe, et je me promis de me faire rembourser mon repas dés les premières lueurs du jour.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire